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Pour ma première critique de jeu pour colorfulminis, je ne pouvais pas choisir un autre jeu que Space Hulk. Ce jeu a bercé mon enfance et a occupé beaucoup de mes samedis après-midi de collégien. J’y ai découvert notamment la richesse des jeux asymétriques, la complexité stratégique et l’immersion oppressante que peut procurer un bon jeu. Space Hulk a été réédité de nombreuses fois et est considéré comme une des références en matière de jeu de plateau avec figurines. C’est donc avec beaucoup de plaisir que je vais vous présenter ce monument ludique. Place à l’espace et à ses épaves, place aux Xenos et aux terminators Blood Angels, place à Space Hulk, l’ancêtre, le grand, l’unique.

Le Pitch

le Space Hulk "Judgement of Carion" (source : warhammer40k.wikia.com)

le Space Hulk « Judgement of Carion » (source : warhammer40k.wikia.com)

Space Hulk est un jeu asymétrique de Games Workshop pour 2 joueurs situé dans l’univers de Warhammer 40k. Un joueur prend le commandement d’une escouade des Space Marines en armure Terminator alors que l’autre contrôle une nuée de Genestealers (des aliens très fortement inspirés du célèbre film de Ridley Scott). Les affrontements se déroulent dans des épaves de gigantesques vaisseaux spatiaux à la dérive.
Chaque partie se joue selon un scénario et une mise en place particulière, car le plateau est composé de multiples petites tuiles représentant les couloirs et les pièces du vaisseau.

L’asymétrie est très forte car les Space Marine sont très puissants au tir, peu nombreux et extrêmement vulnérables au corps à corps alors que les Genestealers sont au contraire dévastateurs au corps à corps, en nombre infini et sans aucune attaque à distance.
Chaque camp se joue donc très différemment. Il est d’ailleurs recommandé de jouer chaque scénario une fois avec un camp, puis une seconde fois en inversant les rôles.

Pour vous mettre dans l’ambiance, quoi de mieux que la bande annonce de Aliens, le retour, film sorti en 1986 soit trois ans avant la première édition du jeu, inspiration très nette de Space Hulk.

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Accessibilité

Photo officielle de mise en place (4e édition)

Photo officielle de mise en place (4e édition)

Soyons honnête, Space Hulk n’est pas un jeu facilement accessible. D’une part, c’est un jeu qui n’est actuellement plus édité. Sa première édition date de 1989 (en anglais uniquement), une seconde édition est sortie en 1996 (traduite en français). En 2009, à l’occasion des 20 ans du jeu, Games Workshop a sorti une troisième édition, qui a elle-même été rééditée en 2014 (avec très peu de changements comparé à celle de 2009). Désormais, pour se procurer le jeu il faut donc chercher sur le marché de l’occasion, et une rapide recherche nous montre qu’il faut compter 150 euros pour une seconde édition VF en parfait état, et entre 150 et 200 euros pour une troisième édition (dont le matériel est exceptionnel). La quatrième édition se trouve elle à partir d’une centaine d’euros.

La première édition du jeu

La première édition du jeu

Par le prix et la disponibilité donc, ce n’est pas un jeu accessible. Mais côté prise en main et mécanique, il s’agit là encore d’un jeu exigeant. La mise en place vous prendra entre 15 minutes et une demie heure selon la complexité du scénario (et la grandeur de la map), car il vous faudra assembler à la manière d’un puzzle géant les couloirs et les pièces du Space Hulk que vous allez jouer (prévoir une grande table).

Le jeu lui-même est également difficile car les règles sont très strictes, notamment sur le mouvement (impossible de bouger en diagonale, coût en mouvement différent selon la direction prise, rotation payante, etc) et chaque tour de jeu représentera son lot de reflexions et de dilemmes. Enfin, côté background, ce jeu est situé dans l’univers de Warhammer 40k et de ce fait ne s’adresse pas au plus grand nombre.

De part tous ces côtés, on peut dire sans trop se tromper que Space Hulk vise un public averti et place la barre très haut en matière de jeu, il s’agit là d’un objet presque élitiste quant à son public visé.

La mécanique

Le jeu s’organise simplement sur des séquences de tours, divisés en deux phases : le joueur Space Marine commence, et active tous ses héros grâce à des points d’actions.

Il prendra soin en début de tour de tirer ses points de commandement (entre 1 et 6) qui lui serviront de crédit d’actions supplémentaires pendant son tour, mais aussi pendant le tour adverse.

Joueur Space Marine

Chaque figurine de Space Marine dispose de 4 points. Les points permettent d’acheter des actions, chacune ayant un coup spécifique (bouger vers l’avant, vers l’arrière, se tourner de 90°, tirer, etc). Le mouvement est une des clef du jeu car la plupart du temps, les déplacements se font dans des couloirs d’une case de large, et les figurines ne peuvent pas passer au travers d’autres figurines, même amies. Autant dire que l’organisation de l’escouade est cruciale. Cela représente très bien l’encombrement procuré par l’armure Terminator et l’étroitesse des couloirs.

Voici à quoi ressemble une map de Space Hulk

Voici à quoi ressemble une map de Space Hulk

Les points de commandement restent secrets (seul le joueur Space Marine connait leur nombre) et permettent d’acheter des actions supplémentaires. Ils permettront aussi de déclencher des actions pendant le tour adverse. Leur bon usage est également important (voir crucial) pour le joueur Space Marine.

De plus, pour représenter la lenteur des Space Marines, ou plutôt la suprématie animale des aliens, le joueur Space Marine joue son tour en temps limité : on lance un sablier de trois minutes au début de son tour, et il n’aura pas une seconde de plus pour dépenser ses actions. Inutile de dire à quel point le stress se fait sentir ! Excellente idée, très novatrice pour immerger le joueur dans la tension terrible d’un commandant en zone hostile.

Lorsque le joueur Space Marine a terminé toutes ses actions (ou qu’il n’a plus de temps !), c’est au tour du joueur Genestealer de prendre la main.

Joueur Genestealer

Celui-ci commence par faire apparaître des jetons « blips », sorte de petits échos radars représentant des zones de détection de mouvement des scanners Space Marine. Ces jetons masquent l’apparition d’individus Genestealers et ont une valeur comprise entre 1 et 3 (dans la 3e et 4e édition du jeu, ils pouvaient aller jusqu’à 6 dans les éditions précédentes !). Le joueur Space Marine ne connait donc jamais la quantité réelle de figurines tant que les blips ne sont pas révélés.

Les blips apparaissent à chaque début de tour Genestealer (selon les points d’apparition et les règles spécifiques du scénario joué). Une fois les apparitions du tour effectuées, le joueur Genestealer peut activer chacun de ses blips et chacune de ses figurines révélées en jeu. Il peut aussi choisir de conserver des blips en attente devant leur zone d’apparition (ils ne sont donc pas encore en jeu).

Les Genestealers sont très rapides et bien plus à l’aise pour se déplacer que les Terminators, ils ont donc 6 points d’actions et non pas 4. Par ailleurs, il n’ont aucune puissance de feu et devront donc toujours venir au corps à corps pour tuer.

Combat

Un Terminator de la Deathwing en plein tir soutenu

Un Terminator de la Deathwing en plein tir soutenu

Parlons du combat justement, le tir au Bolter (arme standard des Space Marines) est résolu de manière simple en lançant 2 dés. Obtenir un 6 (sur au moins un des dés) et c’est un succès, indiquant que la cible et tuée. Des règles spécifiques peuvent intervenir pour des armes différentes comme le cannon d’assaut ou le lance flammes.
Si le Space Marine n’a pas bougé depuis son dernier tir, et tire sur la même cible, il obtient un bonus de « tir soutenu » et un 5 ou 6 sera considéré comme un succès.

Au corps à corps, c’est une autre histoire. Pour symboliser la très grande suprématie du Genestealer en combat rapproché, un combat se résout comme suit : le joueur Space Marine lance un dé, le joueur Genestealer en lance … 3 ! Celui qui obtient le meilleur dé emporte le combat. Autant dire que remporter un corps en corps contre un Genestealer relève de l’exploit, et cela méritera en soi une petite danse de célébration pour l’Empereur… Mais dans ce cas, la question est plutôt : comment avez-vous fait pour vous retrouver en corps à corps ? Un corps à corps contre un Stealer, c’est la mort assurée ! Car oui, dans Space Hulk, pas de point de vie. Un combat perdu ? C’est la mort. Simple, efficace, expéditif, difficile. Intéressant.

Scénario et missions

Sin of Damnation, chez Black Library

Sin of Damnation, chez Black Library

Chaque mission présentera un objectif particulier, comme réaliser un tire au lance flamme dans une pièce précise, réussir à sortir un certain nombre de Space Marine dans une zone particulière, ou encore récupérer un artefact et le ramener à un autre endroit.
Le jeu a toujours était livré avec une campagne de scénario, proposant une grande variété de jeu, et de difficulté.

La campagne livrée avec les dernières édition du jeu s’intitule Sin of Damnation et retrace l’histoire d’une escouade de Blood Angels revenant dans les ruines d’un Space Hulk où quelques centaines d’années auparavant, une autre escouade avait péri. Un livre a également été publié par Black Library, mais ne cherchez pas ici un grand roman, il s’agit d’une version romancée d’un rapport de jeu. Intérêt limité, sauf pour le joueur passionné qui veut se plonger le plus profondément possible dans l’atmosphère du jeu.

Le Matériel

Les figurines de la première édition

Les figurines de la première édition

Si la première et la seconde édition sont assez marquées par leur époque (figurine assez statiques et éléments de jeu un peu ternes), il n’en va clairement pas de même pour la 3e et 4e éditions. Nous avons ici des jeux de la plus belle facture.

Je pense même pouvoir dire que leur matériel est ce qui se fait de mieux jusqu’à ce jour, aussi bien en terme de figurines qu’en terme d’éléments de jeu. Les tuiles du plateau, par exemple sont d’une qualité exceptionnelle : très épaisses (donc solides) elles sont imprimées d’un papier glacé aux teintes profondes et même marquées en relief léger sur certaines parties de contours de décor.

Les dés sont stylisés et évoquent des tâches de sang séchées. Les jetons sont de la même facture que les tuiles. Bref, ce jeu est beau.

En un mot comme en cent, les éditions de 2009 et de 2014 sont des pièces de collection, de jeux magnifiques que l’on a grand plaisir à manipuler. Un jeu qui ne passe pas inaperçu une fois déballé.

Bien évidemment, le jeu prend toute sa dimension lorsque les figurines sont (bien) peintes, mais même si on se contente de les assembler, Space Hulk 3e t 4e édition ravira vos yeux.

Une grappe de figurine de Space Marines de la 3e édition

Une grappe de figurine de Space Marines de la 3e édition

Plaisir de jeu

Ah la grande question. Prend-on du plaisir à jouer à Space Hulk ? Il y a plusieurs angles à observer. Pour commencer, un jeu ne procure du plaisir que s’il réussi à immerger ses joueurs. On entend par cela la capacité du jeu à accaparer l’esprit du joueur, à le captiver, à rendre les questionnements internes exclusivement tourné vers la partie.

Le jeux les plus immersifs ne sont pas nécessairement des jeux à thème, par exemple, une partie de Go, jeu le plus abstrait qui soit peut être extrêmement immersive, au point de plus penser à rien d’autre qu’à des pierres noires et blanches. En cela Space Hulk est très immersif. Une véritable tension s’installe très rapidement. Les actions sont toujours trop « courtes », le temps du sablier défile trop vite, les Genestealers meurent trop facilement, des deux côtés, le stress monte et l’issue reste incertaine.

Figurines peintes des Terminators de Space Hulk 3e édition (source : Board Game Geek)

Figurines peintes des Terminators de Space Hulk 3e édition (source : Board Game Geek)

Tous ces côtés là, cette stratégie, cette immersion et cette tension contribuent à donner une grande richesse au jeu, et donc, un plaisir de jeu, c’est certain.

Cela dit, ce plaisir de jeu est parfois associé à des moments de grande frustration : que dire d’un Terminator suréquipé qui se retrouve surpris en corps en corps par un énième Stealer, et qui péri d’un coup, face à trois dés de combat trop difficiles à battre ? Je suis de ceux qui pensent que cette grande injustice fait partie intégrante du plaisir de jeu, mais d’autres penseront sûrement que les dés ont parfois trop à dire dans Space Hulk.

Pas sûr donc que le plaisir de jeu soit garanti pour tous, une certaine frustration peut être ressentie, surtout si on joue à Space Hulk en mode de compétition, « pour gagner ».

J’aime  pour ma part les jeux qui ne pardonnent pas, et la faible durée de vie d’un Space Marine dans Space Hulk donne tout son sel au jeu. Si vous n’avez pas compris qu’en tant que Space Marine vous devez éviter le corps à corps à tout prix, alors ne vous plaignez pas si votre tête tombe trop vite !

Le plaisir du jeu est donc variable, selon votre propre attitude face au jeu, pour moi, il est suffisamment grand pour que je me sois lancé dans l’écriture de règles solo ou même de variantes, c’est dire mon intérêt pour le jeu.

Rejouabilité

L'extension Deathwing

L’extension Deathwing

Là encore Space Hulk frappe très fort, et innove pour l’époque. Le jeu a même révolutionné le plateau de jeu en son temps, puisque dans Space Hulk, le plateau, il n’y en a pas ! C’est ce fameux puzzle géant qui le remplace, et qui garanti une énorme durée de vie au jeu.

D’un part les missions fournies sont nombreuses et variées mais les extensions publiées ont même proposé des modes de jeu presque automatique, avec une règle solo (un peu simpliste) et une map qui se construit en semi aléatoire (au moyen de cartes que l’on pioche).

Jouer toute la campagne Sin of Damnation représente déjà des heures de jeu (surtout si vous jouez alternativement Space Marine et Genestealer). Si vous en venez à bout, vous pouvez ensuite vous jeter sur l’extension Deathwing (ou du moins trouver le PDF en ligne) et jouer les nouvelles missions qui l’accompagnent.

Et pour aller encore plus loin, vous pouvez aussi regarder du côté de Genestealer, la seconde extension du jeu qui propose deux nouvelles missions et des règles pour jouer des hybrides côtés Genestealers. Pourquoi pas au passage moderniser tout ça avec  les figurines de Deathwatch Overkill pour enrichir votre bestiaire ? Les possibilités sont multiples.

Space Hulk est tellement riche et modulaire, qu’il est extensible presque à l’infini dans l’univers de 40k. Il s’agit pour moi d’un jeu qui ne perdra jamais son intérêt, et de ce fait, sa rejouabilité frise la perfection.

Figurines de Genestealers de la 3e édition

Figurines de Genestealers de la 3e édition

Space Hulk propose donc un jeu difficile basé sur des règles et des principes très novateurs pour l’époque. Il porte l’asymétrie à son paroxysme, où chaque camp joue avec des contraintes exactement inverses de celles de son adversaire. En ce sens, compte tenu de l’époque à laquelle le jeu a été créé, Space Hulk est certainement l’ancêtre légitime de nombreux de nos jeux actuels, plus de 20 ans après.

La beauté de ce jeu se voit aussi dans son intemporalité : deux décennies n’auront pas réussi à rouiller sa mécanique, au contraire, on prend toujours autant de plaisir à choisir ses actions avec minutie, à sentir la tension monter face au sablier qui ne cesse de se vider ou encore, à élaborer une stratégie lorsque le plateau est installé sur la table de jeu.

Le matériel des troisième et quatrième éditions est ce qui se fait de mieux encore aujourd’hui et on ressortira cette pièce maîtresse de l’art ludique encore de nombreuses années. A n’en pas douter, Space Hulk a inventé beaucoup et reste à ce jour indétrôné dans l’empire des jeux de plateau avec figurines.