Ce midi, après avoir déjeuné avec un collègue, je m’arrête au bureau de Poste non loin de nos locaux. Dans mon sac à dos, j’ai une boîte volumineuse qui n’attend qu’une chose : être emballée et expédiée. C’est Alarielle the Everqueen, une figurine massive, remportée lors du tirage au sort de fin d’année organisé sur ma chaîne. C’est Spin0us qui l’a gagnée, et comme il habite bien trop loin de chez moi, l’envoi postal s’impose.

Je pénètre donc dans le bureau de poste, et derrière les automates jaune canari assaillis par les usagers, je m’avance prudemment vers la file d’attente du guichet. La dame qui me devance signe un papier, peut-être a-t-elle déposé un colis. Le guichetier dégage une allure peu commune : la quarantaine bien tassée, il a un bouc parfaitement taillé surmonté d’une moustache. Le tout semble avoir été dessiné par un gros feutre noir. Il porte un tee-shirt sous son gilet flanqué du logo de La Poste. Ses biceps sont contraints par la couture de ses manches, des veines ressortent sous sa peau. Il soulève de la fonte. La pensée s’impose à la vue de ces bras, bizarrement puissants sur le corps d’un homme qui s’approche de la cinquantaine. Le visage reste le seul témoin de l’age véritable, le corps, lui, est ici éduqué à mentir. Je suis encore jeune ! Nous crie ce corps. La dame s’en va. J’avance d’un pas.

Il y a un autre homme derrière le guichet, plus vieux, soixante ans peut-être ? Des cheveux d’argent, des lunettes attachées à un collier qui retombe contre sa nuque. J’ouvre mon sac à dos, et alors que je sors la boîte d’Alarielle pour la montrer au vieux-musclé, je demande s’ils peuvent me donner un colis en carton de la bonne taille. Il y a un étalage juste à côté, de mes yeux, je cherche déjà lequel sera la solution à mon problème : je n’ai rien trouvé chez moi pour emballer correctement cette boîte, ils auront bien ce qu’il faut à La Poste, me suis-je dit.

L’homme aux cheveux blancs s’avance, il prend soudain toute la place derrière le guichet. Le brun aux biceps gonflés semble avoir disparu sans que je ne m’en rende compte. Le vieux postier arrête son regard un instant sur la boîte puis il prend la parole : « Ah mais vous nous embêtez là, les Warhammer. ça va pas le faire là, c’est trop grand ! »

Il marque une pause, puis reprend.

Alarielle – © Games Workshop

« C’est quoi ? Des Eldars noirs ? »

Ses yeux brillent comme ceux d’un adolescent sans un sou devant une vitrine Games Workshop. Il sourit maintenant, à peine.

« Non, c’est une Elfe.

— Ah ouais, des elfes… Bon bah ça va pas rentrer là, on n’a pas de cartons de la bonne taille. Soit ça va être trop petit, soit ça va valdinguer dans tous les sens. »

Je suis tellement surpris de trouver en ce vieux postier un hobbyiste caché que je ne dis rien de plus, si ce n’est que je trouverai bien un carton ailleurs…

Je repars, Alarielle toujours enfermée dans mon sac à dos noir, ce n’est que partie remise.

De retour sur le trottoir, je prends conscience que ce petit échec, cet imprévu, ne m’agace pas. Il ne m’en faut pourtant pas vraiment plus pour me faire pester, mais là, non, rien, pas d’énervement. C’est une sensation amusée qui apparait, un sourire qui se forme, lorsque je repense à la saynète qui vient de se jouer.

Dans ce bureau de poste, sous un ciel gris de décembre, j’ai trouvé un instant de poésie inopiné : le regard d’un adolescent subsistait derrière les yeux d’un vieux postier, un regard dissimulé derrière le masque du quotidien, un masque que seule une Reine Elfe pouvait faire tomber.